Les secrets de la motivation au travail

Fabien Trécourt nous parle des secrets la motivation.
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Que se passe-t-il dans la tête d’un collaborateur motivé ?
Pour s’impliquer dans une mission, le cerveau a besoin d’être accompagné, encouragé, sollicité…

Et surtout pas dirigé d’une main de fer !

Avec le recrutement et la conduite du changement, la motivation des salariés figure en tête des préoccupations des managers. Et pour cause : 6% seulement des salariés français se sentent impliqués dans leur travail, selon l’Institut de sondage américain Gallup(1). C’est l’un des taux les plus bas d’Europe de l’Ouest. Un Français sur cinq s’estime même totalement désengagé. Pour remettre les troupes en ordre de bataille, de plus en plus de managers et de coachs misent sur les neurosciences. L’idée est de comprendre ce qui se passe dans le cerveau lorsqu’on s’enthousiasme pour quelque chose – le travail, par exemple – et d’inventer les méthodes de management susceptibles d’encourager cet état d’esprit.

Cette approche a évidemment ses limites. «Tout ce qui relève de la pathologie, une dépression ou un traumatisme par exemple, ne se règle pas par un coaching, quel qu’il soit», insiste Fabrice de Boni, coach certifié par l’Institut des neurosciences appliquées et coauteur de l’enthousiasmante chaîne YouTube Et tout le monde s’en fout (2). De même, si les conditions de travail sont délétères ou le management tyrannique, le «problème» ne réside certainement pas dans le manque de motivation des employés ou dans leur circuit neuronal de la récompense… Le point sur les pratiques neuroscientifiques qui réveillent l’ardeur au travail.

Une boussole «J’aime, j’aime pas»
Selon un sondage ADP (3), le salaire reste la première source d’implication au travail pour près d’un Français sur deux. Et ce serait une erreur de le négliger au motif que la passion devrait se nourrir de récompenses moins prosaïques, pour ainsi dire gratuites. Selon Pierre-Marie Lledo (4), directeur de recherche au CNRS (laboratoire Gènes, synapses et cognition) et de l’unité Perception et mémoire au sein de l’Institut Pasteur, la motivation a un fond extrêmement primaire et presque animal : «Elle est avant tout une force qui naît de besoins fondamentaux, tels que boire, manger ou s’abriter, et enclenche des actions en vue de les satisfaire. Le cerveau évalue après coup les actions entreprises, là aussi de façon très basique, en termes de “j’aime, j’aime pas”. Quand le signal est positif, il recommence ; c’est ce qui nourrit sa motivation à proprement parler. Dans le cas contraire, il tend à se désengager.» Bref, le cerveau est foncièrement incomplet et insatisfait, à l’image d’un ordinateur sans logiciel, cherchant constamment des informations, des outils et des méthodes susceptibles de l’améliorer. Ce n’est qu’une fois satisfaits ces besoins primaires que nous visons des objectifs plus complexes et personnels, comme un plan de carrière ou un projet de vie, par exemple.

Le processus cognitif reste donc toujours le même : quête de satisfaction des besoins primaires, actions mises en œuvre et évaluées, puis répétées ou abandonnées selon leur résultat. Et le cycle se répète à l’infini… Selon Riadh Lebib, docteur en neurosciences et consultant chercheur en design cognitif chez SBT Human(s) Matter, il est donc inexact de faire une différence radicale entre motivation extrinsèque (le salaire, par exemple) et intrinsèque (la passion), une dichotomie pourtant classique en management !

  • La première renvoie à l’image de la carotte et du bâton : lorsqu’on agit en vue d’une récompense ou par crainte, mais sans réel engouement.
  • La seconde renvoie au désir d’entreprendre ou d’apprendre parce qu’on aime ce que l’on fait.
    En réalité, dans notre cerveau, les deux motivations sont indissociables : «Ce qui est vrai, concède Riadh Lebib, c’est que seuls les objectifs que l’on se fixe soi-même sont réellement moteurs. Mais le cerveau agit toujours en vue de résultats externes. Il se nourrit constamment de récompenses et de gratifications pour évaluer la réussite de son action.» En gros, la passion (interne) ne va jamais sans le salaire (externe).

De l’inutilité de la menace
La motivation se nourrit ainsi d’allers retours permanents entre désir et gratification. «Le cerveau est une machine à faire des prédictions, poursuit Riadh Lebib. Plus le résultat obtenu est proche de ce qui a été anticipé, plus vous serez partant pour recommencer et tenter d’aller plus loin.» Pierre-Marie Lledo abonde dans ce sens et tacle au passage les injonctions à bosser dur en tapant du point sur la table, tout comme la menace : «C’est un signal extrêmement négatif, qui ne produit en aucun cas de la motivation mais, au contraire, du désengagement.» Pourquoi ? Parce que le panneau “j’aime pas” clignote en continu dans le cerveau, qui interprète la peur uniquement sur le mode du “je ne dois plus faire ça”.»

Bref, cela ne crée rien de positif et ne suscite pas d’appétence pour des méthodes de travail plus efficaces. Même lorsqu’un collaborateur semble plus impliqué après coup, poursuit le scientifique, ce serait une erreur de croire que le fait de s’être pris une soufflante en est la cause : «Cela veut simplement dire qu’il a trouvé des récompenses par ailleurs !» En outre, un manager qui ne connaît que le registre autoritaire sera inévitablement assimilé comme source d’un signal négatif. Ses subordonnés ne manqueront pas de le lâcher à la première occasion !

De manière générale, le cerveau supporte mal tout ce qui tourne autour de la négation, qu’il s’agisse de ce qu’il a réalisé jusqu’à présent, de ce en quoi il croit ou encore des objectifs qu’il s’est fixés. Selon Fabrice de Boni, «mettre en avant le fait que 10% du chemin a été parcouru sera toujours plus motivant que de déplorer les 90% qui restent à effectuer.» Les objectifs trop lointains sont épuisants et décourageants pour le cerveau. En revanche, valoriser l’existant a de bonnes chances de fonctionner : «Si un manager valorise ce qui a été fait, répète que c’est génial et qu’il suffirait d’un tout petit coup de collier pour arriver à 15%, là, il peut obtenir quelque chose», continue Fabrice de Boni.

Les amateurs de to-do lists le savent bien, il est toujours plus efficace de diviser un projet complexe en une succession de tâches simples, réalisables et concrètes, plutôt que de commencer par la fin : «Obtenir 5% de croissance pour 2020 !» L’autre ennemi de la motivation, c’est d’ailleurs l’abstraction et la généralité : je veux être heureux, je veux un boulot épanouissant… «Le cerveau ne comprend pas ce genre d’injonctions, même quand elles viennent de soi, assure Fabrice de Boni. La motivation est mise en branle par des buts précis dont découle clairement, presque mécaniquement, une série d’actions à entreprendre.»

Mieux que l’entretien annuel d’évaluation, un manager a donc tout intérêt à multiplier les feedbacks et à encourager ses collaborateurs à chaque occasion. «Pour envoyer des signaux positifs, on peut mettre l’accent sur trois sources majeures de motivation : le sentiment de contrôle, la cohérence et l’appartenance», explique Riadh Lebib. La première renvoie au sentiment de maîtriser sa vie : un collaborateur sera d’autant plus impliqué qu’il se sent en mesure de faire bouger les choses, de transformer son environnement. Un simple «Si tu n’avais pas fait X, nous n’aurions jamais obtenu Y» le reboostera pour la journée !

«Le deuxième levier essentiel est la cohérence, poursuit le consultant chercheur. Le cerveau a besoin de comprendre une situation pour s’y impliquer.» Profiter d’une réunion pour (ré)exposer le projet global de l’entreprise et rappeler à chaque collaborateur en quoi son travail joue un rôle pivot dans ce cadre aura tendance à remobiliser les troupes. Enfin, le sentiment d’appartenance au groupe, ou d’utilité sociale, est aussi un facteur important d’implication. «Je suis d’autant plus motivé que j’apporte ma pierre à l’édifice et que mes collègues comptent sur moi, me font confiance», assure Riadh Lebib. Là encore, un manager qui n’hésite pas à confier des missions cruciales à ses collaborateurs suscite leur envie de s’engager dans leur travail.

La force de l’«effet Ikea»
Lorsque ces techniques échouent et que les salariés restent à bas régime en dépit de vos efforts de bienveillance, la solution est sans doute à chercher du côté de leurs objectifs. «La motivation doit être encouragée et accompagnée, explique Riadh Lebib. Mais, passé un certain point, vous ne pouvez pas imposer un projet à quelqu’un.» Autrement dit, le sens du travail ne peut pas être donné de l’extérieur ; le cerveau a besoin de le construire lui-même en explorant son environnement. Le désengagement d’un salarié peut ainsi être le signe que son travail quotidien ne lui permet plus de réaliser ses propres ambitions. Une première solution, pragmatique, consiste à proposer des solutions en termes de mobilité : cibler une nouvelle clientèle, suivre une formation, prendre un autre poste…

Mais, pour changer vraiment les choses en profondeur, il faudrait mettre en place une organisation incitant chacun à devenir coacteur de l’entreprise et non plus seulement subordonné à des objectifs qui ne le concernent que de loin. «Si je suis coauteur de l’objet sur lequel je travaille, je vais moi-même créer du sens, générer des signaux positifs pour mon cerveau et avoir envie d’aller toujours plus loin dans cette direction», résume le consultant chercheur. Cela correspond d’ailleurs à un biais cognitif dit «effet Ikea» : on accorde une plus grande valeur, disproportionnée même, a ce que l’on a créé, même partiellement, soi-même.

«Motiver, résume Pierre-Marie Lledo, c’est essentiellement fournir à quelqu’un les moyens de se réaliser.» Féru du concept d’entreprise libérée, le neuroscientifique préconise de sortir des schémas «très hiérarchiques hérités des années 1970» pour parier sur l’autonomie des collaborateurs. «L’empathie et la bienveillance permettent à un manager d’accompagner l’implication de ses salariés, d’être attentif à leurs objectifs et de les aider à les atteindre. Mais, pour le reste, la motivation est une force profondément égocentrique. Il est vain d’espérer la contrôler de bout en bout.»

Plus concrètement, des études ont, selon lui, montré que le fait de donner, au sens large (aider, faire des cadeaux, multiplier les gestes amicaux…), encourageait la coopération. Un collègue qui se sent soutenu, même de façon informelle, se démènera d’autant plus pour vous. «Nous sommes une espèce foncièrement coopérative, rappelle Pierre-Marie Lledo. En développant des qualités résolument tournées vers autrui notre cerveau nous a permis de sortir de systèmes de prédation ou de compétition sauvage.» Il préconise cependant de limiter les groupes d’autonomie à 20 ou 25 personnes maximum. Au-delà, constate-t-il, c’est comme si nous étions incapables de gérer des relations réellement empathiques…

Traitez votre cerveau en ami
Salarié autonome, responsable, motivé… il ne vous reste plus qu’à tester sur vous-même cette connaissance toute neuve de votre fonctionnement cognitif. «On ne peut pas tout attendre d’une hiérarchie. C’est un point sensible, mais chacun doit aussi accepter sa part de responsabilité», observe Fabrice de Boni. Si vous ruminez l’idée que rien ne va comme il faut et que vous ne pouvez rien y changer, vous nourrissez une déprimante spirale du désengagement. «On devrait toujours se demander en quoi l’on est responsable de ce qui nous arrive ; et, du même coup, quelle est notre marge de manœuvre, si petite soit-elle, pour améliorer notre situation.»

Dialoguer avec soi, se motiver pour agir, c’est d’abord s’impliquer dans ce que l’on veut. Mais c’est aussi apprendre à se connaître et respecter ses propres limites. «Il faut traiter notre cerveau comme un ami, souligne Fabrice de Boni. Si je lui promets une séance de ciné à 18 heures après le boulot, mais que je lui pose un lapin une fois, deux fois, trois fois, pour travailler jusqu’à 22 heures, je le traite mal et il va finir par décrocher.» L’image que nous construisons de nous-même et de nos actions fonctionne comme un signal que nous envoyons à notre cerveau. Mais celui-ci n’a pas quarante réponses à cette information : c’est soit «j’aime», soit «j’aime pas» ! Ne soyez pas votre pire ennemi…

Parlez-vous cerveau ?
Vous voulez parler à vos interlocuteurs sans décourager leur matière grise ?
Adoptez l’une de ces quatre techniques.

1. Soyez concret : notre cerveau n’est pas si intelligent qu’on le dit. En fait, il est même perdu quand un discours lui semble trop abstrait, complexe ou formulé négativement. Une phrase comme «Tu ne peux pas bâtir ton projet from scratch sans porter atteinte à notre philosophie» peut tuer net les velléités d’implication d’un collaborateur.

2. Rendez vos objectifs accessibles : pour motiver, faites des phrases courtes, directes et affirmatives. Et privilégiez des objectifs proches et chiffrés. Le cerveau a besoin de voir et de palper les choses pour s’engager : «Concentrons-nous pour passer de 5 à 6%» est plus efficace que «Cette année, on vise le 100% !»

3. Positivez : évitez de mettre le focus sur les problèmes. Le cerveau a tendance à surestimer le risque de perte et à sous-estimer les gains potentiels. Pour rééquilibrer la balance, il faudrait parler deux ou trois fois plus du positif. Dire «Si on échoue cette année, il faudra licencier» est catastrophique en termes de motivation. Essayez plutôt : «On a déjà parcouru un bon chemin et la prochaine étape est presque à nous.»

4. Ne misez pas tout sur le discours. Le cerveau a besoin de cohérence pour s’impliquer. Si les mots ne sont pas en accord avec les actes, il se désengage. La communication non verbale est aussi importante que les discours, d’autant qu’elle est en partie inconsciente. Courtoisie et bienveillance sont de mise. Enfin, soyez à l’écoute ! Pour obtenir de l’engagement, la meilleure chose est souvent de ne rien dire et de se mettre à la disposition des autres.

1. State of the Global Workplace, Gallup, 2017.
2. Egalement co-auteur de Changer le monde, ça ne tient qu’à nous… Et tout le monde s’en fout (First, 2018), avec l’équipe de la chaîne.
3. The Workforce View in Europe 2018, ADP.
4. Auteur, entre autres, de Le Cerveau, la machine et l’humain (Odile Jacob, 2017) et coauteur, avec Jean-Didier Vincent, de Le Cerveau sur mesure (Odile Jacob, 2012).

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